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L'émigration

L’arrivée des Francophones dans les Territoires du Nord-Ouest, au 19ème siècle, peut être divisée en deux périodes bien distincte: avant et après 1890.

Avant 1890: l’arrivée d’aventuriers du Québec

Hart parle de Canadiens-Français, arrivés avant 1890, qui provenaient du Québec et qui « faisaient partie d’un groupe plutôt flottant d’individus (...) qui se déplaçaient (...) dans l’Ouest à la recherche de quelque chose qui puisse satisfaire leur goût de l’aventure et leur espoir de faire de l’argent (...) Ce mouvement n’était organisé en aucune façon »1. Bien souvent, ils travaillaient pour le Canadian Pacific à titre de manoeuvres. Ces gens s’installèrent pour la plupart à Edmonton et plusieurs devinrent membre de l’élite francophone d’Edmonton.

Après 1890: l’abbé Jean-Baptiste Morin et le projet de colonisation

Après 1890, la présence francophone était surtout dû au travail inlassable de l’abbé Jean-Baptiste Morin, qui canalisa l’immigration francophone pendant près de 10 ans pour établir des paroisses à et autour d’Edmonton2. L’abbé Morin était considéré comme « le premier missionnaire-colonisateur qui fit sérieusement de la colonisation dans l’Alberta à titre d’agent officiel nommé par le gouvernement fédéral »3. Né au Québec en 1852, Jean-Baptiste Morin fut ordonné prêtre en 1884. En 1890, il fut persuadé par Mgr Grandin « d’oeuvrer dans son diocèse à titre de missionnaire-colonisateur chargé d’aller ‘faire la chasse aux colons’4canadiens-français dans l’est du pays et aux États-Unis »5.

Le premier contingent de colons arriva en avril 1891 et comprenait 56 personnes, dont 39 adultes6. Entre 1891 et 1897, l’abbé Morin avait fait venir plus de 530 familles, ce qui correspondait à 2 256 personnes7. Les deux dernières années (1898-1899), Morin fit venir 223 personnes, réparties dans 90 familles8pour un total de près de 2 500 personnes réparties dans 620 familles. Malgré un effort surhumain, c’était loin de combler les attentes pour maintenir une présence importante dans la région.

Depuis sa nomination à ce poste, l’abbé Morin avait travaillé sans relâche:
L’abbé Morin se soumit à un travail ardu afin de pouvoir diriger vers le Nord-Ouest quelques-uns des trop nombreux canadiens-français qui s’orientaient vers les Etats-Unis. Il consacrait une partie de l’année à faire des conférences à ses compatriotes américains dans le but de faire connaître l’Ouest canadien et de rapatrier tous ceux qui voulaient y venir. Après ses séries de conférences, il revenait à son bureau de Montréal (...) pour continuer son travail: correspondance volumineuse, articles nombreux aux journaux de l’époque (...), accueil incessant de ceux qui cherchaient des renseignements concernant l’Ouest9.

Les francophones qui sont arrivés avec l’Abbé Morin, après 1890, provenaient principalement du Québec avec une large part qui provenait des manufactures de la Nouvelle-Angleterre et des plaines du mid-west américain. Pour employer l’expression de Frédéric Villeneuve, qui avait écrit un article de journal à la mort de l’abbé Jean-Baptiste Morin, « Il avait arraché la plupart d’entre eux à la pieuvre américain »10.

La politique d’immigration du gouvernement fédéral

Cette période d’intense immigration voyait l’arrivée de plusieurs colons provenant de pays étrangers. Le Francophone d’Edmonton qui, dix ans plus tôt, représentait une proportion d’environ 15 %, voyait son chiffre diminuer considérablement avec l’arrivée de ces colons étrangers.

Bien souvent, L’Ouest Canadien critiquait la politique d’immigration du ministre Sifton qui « dépense beaucoup d’argent pour aller chercher les Européens (tandis qu’) on fait si peu pour rapatrier les nôtres au Canada »11.

Bien que beaucoup de ces nouveaux colons arrivant d’Europe de l’Est soient catholiques (les Galliciens de Rabbit Hill étaient catholiques grecs), le journal, dans son article « Il nous faut des colons: où les prendre? »12commente sur les «raisons qui poussent le gouvernement à diriger l’effort (de colonisation) vers des pays anglophones ou presque barbares» (en parlant des Galliciens de la Russie). Le journal conclut en disant que des « agents d’immigration devraient aller aux États-Unis pour aller chercher les nôtres ».

Loin de la ville!

L’abbé Morin ne cachait pas son intention de faire venir des familles qui pourraient coloniser la région environnante d’Edmonton. Pour lui, c’était clair: la ville (surtout américaine) était dangereuse, avec ses commerces, ses tavernes, ses magasins, ses hôtels où il était facile de dépenser son argent; il se disait «contre la jeunesse qui part pour aller dans les villes manufacturières de l’Union américaine (...) et qui vont perdre langue, nationalité et foi»13. Pour l’Abbé Morin, la ville, c’était la tentation et la richesse matérielle, dominée par «l’Autre», l’Anglais.

En fait, le rôle des Canadiens-Français en Amérique, d’après l’article de L’Ouest Canadien «était de combattre l’envahissement du matérialisme» car le Canada français était la « seule nation qui ait une âme (...) les États-Unis (étant) un pays sans cohésion »14. Dans leur livre Canada 1896-1921, A Nation Transformed, les auteurs Robert Craig Brown and Ramsay Cook décrivent l’activité économique aux yeux des Canadiens-Français :

Many French-Canadian intellectuals argued that business activity was naturally Protestant, materialist, and Anglo-Saxon, and should be avoided by a people Catholic in faith, spiritual in temperament, and ethnically French15.

Dans l’article « Si jeunesse savait » il est question « des professions libérales » à la ville où il y a « beaucoup de concurrence » et les gens qui y déménagent sont souvent obligés « de faire autre chose »16. Qui plus est, la vie rurale était décrite comme ayant « peu de distractions extérieures » et le fait de vivre simplement (à la campagne) était considéré « une grande noblesse »17.

On encourage l’immigration à la campagne
À cause de la situation avec la question scolaire, il est donc plus facile de comprendre la raison qui a poussé l’abbé Morin et les prêtres-colonisateurs après lui à vouloir « isoler» les colons francophones dans des communautés distinctes, situées autour d’Edmonton. Le but était clair: l’immigration massive de ces Francophones remettrait les pendules à l’heure et garantirait la survie des Francophones. Et qui sait, les Franco-catholiques seraient peut-être remis « dans la jouissance de leurs droits! »18

Il fallait donc à tout prix encourager l’immigration de ces colons sur les bonnes terres de l’Ouest et organiser des paroisses francophones pour la survie de la race. En fait, si la race canadienne-française avait continué à survivre au Québec, au milieu de l’élément anglo-saxon pendant plus de 150 ans, c’était en grande partie parce qu’ils avaient vécu à la campagne, loin de ceux-ci.

La vraie richesse

À l’époque du Klondike, il était « à la mode » de parler de richesse, d’utiliser ce terme ad nauseam soit pour attirer les colons, soit pour parler de la terre, « la vraie richesse ». Car selon Morin, la vraie richesse, c’était la terre et le riche, c’était le cultivateur. L’abbé Morin avait en effet horreur de ces « aventuriers », nombreux à l’époque du Klondike, qui venaient dans l’Ouest pour tenter leur chance et faire fortune, mais qui repartaient vers d’autres cieux lorsque les affaires n’allaient par trop bien. Pour s’assurer de choisir les bons candidats, l’Église fut donc obligée de :

sélectionner très soigneusement (les) candidats à l’émigration, de façon à ne retenir que des colons dont il était sûr du succès (...) En imposant certaines conditions aux immigrants, (elle) atteignit le but recherché, mais au détriment d’un autre facteur, le nombre19.

Partout dans le journal L’Ouest Canadien, il est question du terme « richesse ». Dans l’article « Une mine d’or dans l’Alberta »20, on parle de la «fertilité du sol dans la région» et dans l’article « Soyons riches »21, il est question de la « richesse du sol canadien (...) du départ de nombreux Canadiens vers les États-Unis (qui) devraient rester pour enrichir notre pays au lieu d’enrichir les États-Unis ».

On y fait aussi beaucoup référence au Klondike: « L’Alberta, un vrai Klondyke; il ne lui faut que la population »22 et dans l’article « Le nord-Ouest: ses merveilles »23 (article paru originalement en anglais dans le Montreal Herald ), il est question des « beautés et des richesses de la région (en plus des) ressources minières et agricoles du district d’Edmonton (qui sont) un autre Klondyke ».

On va même jusqu’à publier une lettre du juge Routhier du district d’Edmonton, au sujet de la colonisation canadienne-française: (nous avons) « besoin d’un fort courant d’émigration de nos compatriotes » (...) qui est « à l’avantage de notre race » et qui fera du Canada un « pays riche »24. D’ailleurs, cette façon de faire — une lettre venant d’un personnage important de la francophonie — est utilisée maintes fois dans L’Ouest Canadien pour attirer les colons: les avocats, les prêtres ou les juges, l’élite francophone y passe au grand complet!

Une fois les colons arrivés, il faut les garder!

C’était une chose de faire venir ces colons; il fallait aussi les garder car bon nombre de ces colons canadiens-français qui arrivaient dans l’Ouest « n’y connaissaient rien au travail de la terre, ayant été employés auparavant sur les chantiers du Québec, dans les usines de la Nouvelle-Angleterre, ou comme artisans »25. Le pire qui pouvait arriver était de voir retourner ces braves gens au Québec ou en Nouvelle-Angleterre et parler de leur mauvaise expérience dans l’Ouest canadien.

Le journal commença donc une série d’articles pour informer ces « nouveaux colons » au sujet de techniques agricoles: dans l’article « Agriculture »26, il est question de conseils au sujet du « nombre de porcs dans un troupeau (...) de la cave qui est le meilleur endroit où storer les patates utilisées pour la semence (...) et de l’arrosage des fleurs en hiver ».

Dans d’autres articles, il est question de « la racine de navets (...) la meilleure nourriture pour les moutons »27, de la « façon de se débarrasser des vers turcs dans les troupeaux »28, de la façon de « choisir un bon cheval »29 et de la recette «pour avoir du bon foin»30.

Bilan du projet de colonisation de l’Abbé Morin

En 1899, l’abbé Morin « constatait le demi-succès de son oeuvre: son petit Ouest canadien, comme il le disait, il le croyait malade. Il présageait l’envahissement presque complet par des immigrants en provenance du continent européen »31.

L’Abbé Morin quittera définitivement l’Ouest en septembre 1899, cette belle région qu’il chérissait tant, pour retourner au Québec car il était « épuisé par les fatigues accumulées pendant une dizaine d’années de voyages incessants, de soucis constants et de travaux apostoliques particulièrement difficiles »32. L’abbé Morin laissait une marque indélébile dans la région.

1Hart, Op. Cit pp. 20-21.
2Edmonton, Saint-Albert, Morinville, Fort Saskatchewan, Saint-Pierre, Beaumont, Stony Plain, Rivière-Qui-Barre et Vegreville.
3Trottier, Journal d’un missionnaire-colonisateur, p. xii.
4Archives de l’Archidiocèse d’Edmonton, dans Trottier, Journal d’un missionnaire-colonisateur, p. xi.
5Ibid, p. xi.
6Ibid, p. xvii.
7L’Ouest Canadien 10.02.98:1.
8L’Ouest Canadien 22.06.99:1.
9Trottier, Op. Cit, p. xii-xiii.
10Les cloches de Saint-Boniface, Vol. XI, #3, 1 février 1912.
11L’Ouest Canadien 31.03.98:1.
12L’Ouest Canadien 02.06.98:2.
13L’Ouest Canadien 03.03.98:2.
14L’Ouest Canadien 05.05.98:1.
15 Brown et Cook, Op. Cit. p. 131.
16L’Ouest Canadien 07.04.98:1.
17L’Ouest Canadien 26.05.98:1.
18L’Ouest Canadien 30.06.98:2.
19Ibid. p. 32.
20L’Ouest Canadien 03.02.98:2.
21L’Ouest Canadien 10.02.98:4.
22L’Ouest Canadien 17.02.98:4.
23L’Ouest Canadien 03.03.98:1.
24L’Ouest Canadien 24.03.98:3.
25Denise Stocco, Op. Cit. p. 42.
26L’Ouest Canadien 03.03.98:4.
27L’Ouest Canadien 17.03.98:3.
28L’Ouest Canadien 24.03.98:4.
29L’Ouest Canadien 31.03.98:4.
30L’Ouest Canadien 07.04.98:4.
31De nombreuses raisons ont été évoquées pour expliquer le faible nombre de Francophones à s’être établis en Alberta. L’objectif de ce document n’est pas d’expliquer en profondeur les causes de cet état de faits, mais bien de décrire la communauté telle qu’elle paraissait en 1898, lors de la parution du journal L’Ouest Canadien. Je me contenterai d’énumérer quatre raisons:
a) l’opposition du clergé de la province de Québec, qui avait lancé son propre programme de colonisation - Lac Saint-Jean, Abitibi, Gaspésie- et qui abhorrait que l’on vienne «voler» des colons potentiels;
b) la question des écoles du Nord-Ouest et l’élimination des droits (linguistiques et religieux) de la minorité francophone catholique, à partir de 1890;
c) les conditions imposées par le clergé aux colons, notamment la possession d’un certain capital, environ entre 700$ et 800$ (voir pamphlet de J.B. Morin, La Terre promise aux Canadiens-Français, p. 22)
d) la distance à parcourir et le coût à payer pour se rendre dans l’Ouest.
32 Trottier, Op. Cit. p. xx.

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