Description de site : Fort George - Buckingham House
En 1774, la construction de Cumberland House dans les terres de l'intérieur par la Compagnie de la Baie d'Hudson signala un changement majeur dans les politiques de traite de la compagnie. Ne se contentant plus d'attendre aux abords de la baie que les Amérindiens apportent leurs fourrures, la compagnie décida d'aller plutôt à la rencontre de ces derniers pour recueillir les produits de leur chasse. La Compagnie de la Baie d'Hudson y était contrainte, en raison de l'agressivité de la concurrence des traiteurs de Montréal qui partaient à la rencontre des trappeurs de l'intérieur et traitaient directement avec eux. Par conséquent, la Compagnie de la Baie d'Hudson obtenait de moins en moins de fourrures et la qualité de celles-ci s'amoindrissait. La plupart des meilleures fourrures prenaient la direction de Montréal.
Après avoir construit Cumberland House, la Compagnie de la Baie d'Hudson réalisa la nécessité d'étendre son système de postes en partie parce que les traiteurs de Montréal étendaient eux aussi leur rayon d'action. Leur situation de concurrence entraîna les compagnies de traite vers le nord et l'ouest à la recherche de nouvelles régions où les ressources en fourrures seraient relativement intactes. Une grande partie de l'action se déroula dans le nord, surtout après que Peter Pond ait franchi le portage Methye en 1778 et ouvert la traite des fourrures en direction des rivières La Paix et Athabasca.
Les trajets d'approvisionnement se faisant de plus en plus longs (vers les années 1780, certains postes étaient situés à plus de 3000 milles, soit à près de 5000 kilomètres de Montréal), des compagnies comme la Compagnie du Nord-Ouest et la Compagnie de la Baie d'Hudson éprouvèrent la nécessité d'une nourriture de base riche en calories mais légère et facile à transporter. Le pemmican remplissait parfaitement ces conditions. Mélange de viande de bison séchée et pilée, de graisse (parfois assaisonnée de baies pour le goût), cette nourriture pouvait se conserver pendant des années ; elle était assez riche en calories pour les rudes efforts des hommes des canoës, elle était légère et facile à transporter dans des sacs de cuir, et facile à préparer. On pouvait manger le pemmican tel quel ou bien frit, mais la plupart du temps on le préparait sous forme de rubbaboo ou burgoo, c'est-à-dire une sorte de ragoût, en le faisant bouillir dans de la farine et de l'eau (et avec tout ce qui pouvait servir d'accompagnement). Rapide à préparer, pratique et nourrissant, le pemmican était devenu vital dans la traite des fourrures à la fin du XVIIIe siècle.
Afin de s'assurer leur approvisionnement, les compagnies devaient se rendre à sa source principale, les gigantesques troupeaux de bisons qui paissaient sur les plaines et les terres boisées de l'ouest. Par conséquent, tant la Compagnie de la Baie d'Hudson que la Compagnie du Nord-Ouest construisirent des postes le long de la rivière Saskatchewan Nord, ayant pour fonction première l'approvisionnement en pemmican, en viande séchée, et plus rarement en viande fraîche afin de nourrir leurs employés. Ces postes avaient également une fonction secondaire de traite. Ils étaient situés entre les plaines et les régions subarctiques et pouvaient exploiter le potentiel de traite de ces deux zones. Les gens de la Compagnie du Nord-Ouest appelaient ces postes à la fonction vitale les forts des Prairies.
La plupart de ces postes avaient une espérance de vie réduite. Dans chacune des régions, la chasse intensive diminua les troupeaux et ces postes ressemblaient assez souvent à des abattoirs. En quelques années, la plupart devenaient des lieux particulièrement désagréables à vivre. Même un poste comme Fort Edmonton, celui des forts des Prairies qui resta le plus longtemps en service, fut déplacé à plusieurs reprises. En 1792, la Compagnie du Nord-Ouest entreprit la construction d'un nouveau poste sur la Saskatchewan Nord pour remplacer le poste de lac d'Orignal qui se trouvait immédiatement au nord de la rivière Saskatchewan Nord près de ce qui est aujourd'hui Bonnyville. Le poste de lac d'Orignal n'avait plus d'utilité et il était situé bien trop au nord pour pouvoir produire beaucoup de pemmican. Ce nouveau poste fut appelé Fort George. La Compagnie de la Baie d'Hudson, toujours à l'affût de ce que faisait la Compagnie du Nord-Ouest, l'imita en construisant un second poste, nommé Buckingham House, à proximité de celui de la Compagnie du Nord-Ouest, dans le courant de la même année. Il s'agissait des deux premiers postes construits dans ce qui deviendrait l'Alberta, sur la rivière Saskatchewan Nord, les précurseurs véritables de Fort Edmonton et Fort Augustus.
Fort George était commandé par Angus Shaw, et Buckingham House était géré par William Tomison, « l'officier » principal de la Compagnie de la Baie d'Hudson à l'intérieur des terres, aussi ces deux postes étaient-ils importants pour le bon fonctionnement des deux compagnies. L'étroite proximité de ces deux postes n'était pas non plus sans conséquences. Duncan McGillivray, s'adressant à William Tomison, trouvait que cette relation était celle de « voisins et adversaires ». Les compagnies se trouvaient dans une situation de rivalité agressive l'une par rapport à l'autre, en traitant avec différents groupes amérindiens (c'était un milieu très multiculturel), mais elles avaient également intérêt à s'entendre. Les postes, par exemple, partageaient le même puits, et tentaient de se donner une certaine protection mutuelle, en cas de besoin. Les résidents des postes allaient et venaient d'un poste à l'autre, et à l'occasion échangeaient des vivres et des marchandises. Plus tard, la compétition tiendrait du coupe-gorge, mais au début des années 1790, sur la rivière Saskatchewan Nord, les traiteurs avaient tout intérêt à s'entendre entre eux.
En 1795, le rôle majeur de ces postes sur la rivière Saskatchewan Nord fut amoindri lorsque la Compagnie du Nord-Ouest construisit Fort Augustus et que la Compagnie de la Baie d'Hudson bâtit Fort Edmonton plus en amont de la rivière, près de ce qui est aujourd'hui Fort Saskatchewan (au confluent des rivières Esturgeon et Saskatchewan). Vers 1800, les postes furent abandonnés, la traite s'étant déplacée.
Ayant aujourd'hui le statut de sites historiques provinciaux, Fort George et Buckingham House présentent plusieurs traits intéressants pour les historiens et les archéologues. Tout d'abord, en tant que sites archéologiques, ils présentent un concentré de la vie dans la traite des fourrures à la toute fin du XVIIIe siècle. Les sites ayant connu une plus longue période d'occupation présentent des données archéologiques plus confuses, aussi, à des fins de recherche, Fort George et Buckingham House ont-ils une grande importance. Les deux sites sont également très riche en matériel archéologique - les dépotoirs y sont énormes et permettent toutes sortes de recherches intéressantes sur les régimes alimentaires et l'approvisionnement par exemple. Pour les historiens, ces postes sont également intrigants. Leur situation implique qu'ils attiraient une grande variété de population : des Cris, des Bois et des Plaines, des Assiniboines, des Pieds-Noirs, des Piéganes et même des Gens du Sang du sud de l'Alberta, ainsi qu'un petit nombre d'autres groupes. Les compagnies, également, avaient des similitudes et de véritables différences. Le poste de Buckingham House était beaucoup plus petit que Fort George, ce qui reflète l'histoire différente des deux entreprises et leurs situations dans la traite et le système de transport. La Compagnie de la Baie d'Hudson employait majoritairement des hommes des îles Orcades, tandis que la Compagnie du Nord-Ouest employait des Écossais des Highlands, des Canadiens du Québec et des Métis. Il reste beaucoup à apprendre d'un site tel que celui de Fort George et Buckingham House.