Charles Chalifoux est né à Webserville au Vermont, le 16 mai 1897, non
loin de Graniteville où il a été baptisé. C'était alors (et l'est
toujours) le centre d'une importante industrie de pierre de taille en
Nouvelle-Angleterre. La famille était très proche de sa parenté au
Québec, qui habitait surtout à Boileau, au nord de Montréal et à
Saint-Rémi d'Amherst. La famille semble s'être passablement déplacée;
Chalifoux a fait sa première communion et a été confirmé à Boileau. Sa
mère est décédée lorsqu'il avait douze ans et il est allé vivre avec
son oncle dans ce village. Quelques années plus tard, il est admis au
collège Saint-Alexandre à Ironsides, près de la rivière Gatineau, un
établissement des pères du Saint-Esprit (Spiritains). En terminant ses
études, il devient membre des spiritains et, en 1920, il traverse
l'Atlantique pour étudier au séminaire des Spiritains à Orly, près de
Paris, afin de se préparer pour la vie de missionnaire dans les
missions étrangères. Il est ordonné prêtre le 28 octobre 1923 et se
dirige vers le Cameroun durant l'été 1924, où il reste jusqu'en 1929,
la maladie l'obligeant alors à revenir au Canada. En 1929 et en 1930,
il travaille pour les Spriritains, faisant de la promotion pour le
collège et la communauté religieuse, accompagné de son neveu Ernest
Forrend qui l'accompagne comme chauffeur et aide-de-camp. Ensemble,
ils sillonnent le Québec et la Nouvelle-Angleterre, et beaucoup des
photos concernant les pères du Saint-Esprit et le Collège Saint-Alexandre
dans la collection Chalifoux semblent venir de cette phase de
promotion. Chalifoux avait beaucoup aimé son travail dans les missions
africaines et il est resté en contact avec des amis de l'époque ainsi
que ses anciens catéchumènes.
Le travail de promotion n'est qu'une mesure temporaire pour le père
Chalifoux. Mgr Henry John O'Leary cherchait des prêtres francophones
pour son grand diocèse d'Edmonton, alors lui et son neveu arrivent
dans l'Ouest en 1930, visitant les Montagnes avant de se rendre à
Boyle, où Chalifoux avait été posté. Cette petite colonie, à 150
kilomètres au nord d'Edmonton, non loin de Lac la Biche, était très
pauvre, les conditions de voyage étaient difficiles; l'hiver, on se
déplaçait en carriole. Mais Chalifoux aimait ça, et il s'est créé des
bons amis. Durant son séjour à Boyle, il a construit sa première
église.
En 1933, il est transféré à la paroisse de Saint-Vincent, une
communauté canadienne-française, où il restera pendant presque trente
ans. Ses talents d'organisateur et d'artiste sont mis en valeur à cet
endroit, où il aide les paroissiens à construire le paysage paroissial.
Les colons y étaient établis depuis presque 25 ans et, même s'ils
avaient déjà construit plusieurs églises, la première était devenue
trop exiguë, et sa remplaçante, plus spacieuse, avait été victime d'un
incendie seulement quelques semaines après sa complétion en 1918, et
on n'arrivait pas à reconstruire. La voie ferrée tant espérée avait
contourné le village, la paroisse était pauvre, plusieurs de ses curés
étaient décédés dans la paroisse, lui gagnant le sobriquet de "cimetière
du diocèse", et en plus, le nouveau curé arrivait en plein durant la
Grande Crise économique des années trente. Lors de l'arrivée de
Chalifoux, l'église temporaire ne logeait pas tous les paroissiens,
dont un bon nombre devaient entendre la messe dehors. Avec l'aide de
ses paroissiens, du bois est coupé et scié le long de la rivière aux
Castors et la planche transportée à Saint-Vincent, où l'église est
construite presque exclusivement par des bénévoles. Le curé a la
merveilleuse idée de décorer l'intérieur de l'église avec des panneaux
faits de bois récupéré de caisses d'emballage. Il choisit un motif
espagnol pour l'architecture de l'église et s'inspire de motifs
mauresques et d'art déco pour l'intérieur.
Construite sur l'emplacement d'un ancien barrage de castors, le sous-sol
de l'église suinte sans cesse et, en 1973, l'église est condamnée à la
démolition. Le problème est aussi exacerbé par des problèmes de
chauffage, car on n'utilise plus le bois et le charbon en faveur de
l'huile. Des paroissiens soucieux de sauver leur merveilleux
patrimoine démontent autant du décor que possible, sinon tout cette
beauté se serait retrouvée au dépotoir. Quant aux démolisseurs,
l'église résiste à leurs coups, et ils ont bien de la difficulté à
tout démonter. Les poutres de mélèze et la planche récupérées se
revendent pour plus que l'église avait coûté à construire. Pour plus
d'information sur le décor de bois ajouré, consultez Héritage
Unique/Legacy in Wood
Chalifoux est un individu énergique et il établit des missions aux
extrémités de sa paroisse, notamment à Rife, où la petite chapelle
Sainte-Anne est construite. Il visite la communauté polonaise de Flat
Lake, jusqu'au moment où un curé est installé dans sa cure. Lorsqu'il
le faut, il visite les paroisses environnantes de Sainte-Lina, Mallaig
et Thérien. En 1936, la paroisse accueille le congrès eucharistique
diocésain; il s'agit alors de diocèse d'Edmonton, car le diocèse de
Saint-Paul n'est fondé qu'en 1948. Plusieurs photos de cet événement
se retrouvent dans sa collection de photos. Durant les années 40, un
dortoir est construit pour les enfants de la paroisse, ce qui
centralise la plupart des écoles dans le secteur, un système qui
persiste jusqu'à l'arrivée du transport scolaire en 1955. Après, le
dortoir est déplacé auprès du lac Saint-Vincent et devient un lieu de
camps d'été pour les enfants du diocèse de Saint-Paul pendant bien des
années. Produit de son temps, il encourageait les Canadiens français à
rester sur leur fermes, et n'approuvait pas qu'ils travaillent "en
dehors" pour suppléer à leur maigre revenu, comme ils l'ont fait
durant la construction de la base militaire du lac Froid au début des
années cinquante.
Le père Chalifoux prend sa retraite à Saint-Vincent en 1961, et quitte
le presbytère où il avait vécu depuis son arrivée pour rejoindre son
neveu Ernest Forrend et son épouse Laura (Brousseau) pour vivre en
campagne à peine à un kilomètre du hameau. C'est durant ce temps qu'il
est diagnostiqué de la maladie de Parkinson. Vient le moment qu'il
doit s'installer à l'hôpital Saint-Joseph à Edmonton, où il décèdera
le 18 avril 1970, âgé de presque 73 ans. Son corps a été enterré dans
le cimetière de Saint-Vincent, entouré de ceux et celles qu'il avait
aimés pendant tant d'années.
Après sa mort, Laura et son époux ont envoyé beaucoup de photos de lui
aux membres de sa famille au Québec, et ont conservé la collection
jusqu'au moment où Laura me l'a confiée, il y a déjà quelques années.
Nous avons documenté tant bien que mal la collection, numérotant les
photos et les avons repassées ensemble, mais il faut savoir que Laura
est presque aveugle. Tout en lui décrivant les 700 photos, elle se
souvenait d'un grand nombre, ayant souvent entendu le père Chalifoux
parler de ses voyages lorsqu'elle était la ménagère et la cuisinière
au presbytère pendant bien des années avant son mariage (et après).
Dr. Juliette Champagne
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