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Émile Legal Et La Place Du Français En Alberta

Gilles Cadrin
Faculté Saint-Jean
University of Alberta

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À la fin du dix-neuvième siècle, les vastes territoires à l'ouest du Manitoba commençaient à accueillir des milliers d'immigrants venus de toutes parts. Comme peu d'entres eux étaient de langue française, les Canadiens français de l'Alberta actuel, imbus d'un nationalisme messianique conçu au Québec, manifestèrent des signes d'inquiétude et d'impatience. Certes, l'arrivée soutenue d'immigrants anglo-saxons et l'introduction de lois préjudiciables à la langue française expliquent leur réaction. Mais, il apparaîtrait aussi qu'ils se sentirent trahis par un clergé à l'esprit universaliste, qui était majoritairement originaire de France. Une lettre reproduite en 1897 dans le journal québécois, Le Courrier du Canada, expose clairement les griefs de l'auteur anonyme qui affirme que la cause des protestants et des Anglais est bien mieux soutenue par les ministres de leur nationalité que ne l'est la leur par les prêtres français:

Nous avons dans le pays trois excellents prêtres canadiens qui sont venus se dévouer pour nous. Leur persévérance à demeurer parmi nous, malgré la grande pauvreté, le peu de confort, le peu d'encouragement, l'isolement où ils se trouvent leur fait honneur. D'autres aussi vaillants nous viendront bientôt de notre Canada et ainsi nous serons chez nous. Nous avons heureusement à notre tête un de ces Canadiens qui ne recule jamais devant un sacrifice. Je veux nommer M. l'abbé J.-B. Morin: son patriotisme est connu de tous, son dévouement à la cause canadienne est admiré au moins par nous Canadiens. Tout en appréciant la valeur des prêtres d'Europe, qui viennent se dévouer ici, personne ne peut en effet nous blâmer de désirer de voir des prêtres canadiens dans nos paroisses canadiennes: nos vues, nos habitudes, nos coutumes ne sont pas les mêmes qu'en France: aussi pour que la prospérité tant spirituelle que temporelle arrive, il nous faut l'union des volontés et des cœurs, avoir les mêmes vues et avoir les mêmes moyens pour arriver au but. C'est malheureusement ce que nous n'avons pas eu jusqu'à présent faute de chef1 .

St. Albert - Basement of the third church, no date. (OB1781 - Oblate Collection at the PAA)Mgr Émile J. Legal, missionnaire oblat de Marie-Immaculée, originaire de Saint-Jean-de-Boiseau (Loire-Atlantique), nommé coadjuteur du diocèse de Saint-Albert le 17 juin 1897, allait-il être le nouveau chef qui apaiserait les inquiétudes des Canadiens français de l'Ouest? Pour évaluer l'œuvre de Mgr Legal en vue d'assurer la place du français et l'affirmation des francophones en Alberta, nous nous limiterons à l'examen de trois aspects de son œuvre: la colonisation, les écoles et les institutions sociales.

À la nomination de Mgr Émile Legal comme coadjuteur de Mgr Vital Grandin, une des questions du jour des plus pressantes était celle du recrutement de colons canadiens-français pour le Nord-Ouest. Comme le laisse entendre la lettre publiée dans le Courrier du Canada, le clergé composé presque exclusivement d'Européens aurait manqué à son devoir en ce domaine, car il n'était pas animé du nationalisme canadien-français qui prônait la prise de possession du sol par des « nationaux » afin d'assurer la survie et la prospérité de la société canadienne-française. Pour apprécier le rôle de Mgr Legal au niveau de la colonisation et répondre à l'accusation portée contre les religieux français, il importe de situer l'œuvre des Oblats de Marie-Immaculée dans le contexte du développement de l'Ouest.

Arrivés à Saint-Boniface en 1845, les Oblats se consacrèrent d'abord à l'œuvre d'évangélisation des tribus indiennes du Manitoba pour l'étendre ensuite à tout l'Ouest canadien, y inclus le Grand-Nord. Missionnaires auprès des pauvres, ils desservaient les Indiens, les Métis et les Blancs qui étaient au service des compagnies de fourrure. Après l'entrée du Manitoba dans la Confédération en 1870, les colons blancs commencèrent à arriver de l'Ontario pour occuper le sol que les Métis et les Indiens abandonnaient pour se regrouper dans le Nord-Ouest qui, en 1881, ne comptait encore qu'environ 3,500 Blancs2 . Mais la défaite de Louis Riel et sa pendaison, en 1885, annoncèrent au Canada anglais que l'Ouest lui revenait en partage; par la suite, le flot régulier de Britanniques et d'Américains qui s'amenèrent fit passer la population blanche en 1891, à 50,000 personnes3 .

Déjà, en 1886, le clergé aurait dû s'inquiéter de la baisse de la représentation francophone puisque les francophones de toute origine ne représentaient plus que 15 % de la population en Saskatchewan et 12,6 % en Alberta, soit un total de 4,917 personnes pour les deux provinces, dont 3,387 étaient des Métis français4 . Mais, Mgr Grandin avait montré jusqu'alors beaucoup d'hésitation à faire venir des colons: plusieurs déjà, par leur conduite peu édifiante, avaient nui à l'œuvre missionnaire. Aussi, un certain nombre d'entre eux, à la suite d'échecs de récolte ou de maladies, étaient tombés à la charge des Oblats. C'est pourquoi, encore en 1888, Mgr Grandin rappelait au père Vital Fourmond de prendre des précautions lorsqu'il chercherait à attirer des colons du Québec5 . Pourtant, conscient que le Nord-Ouest devenait de plus en plus anglais et protestant, Mgr Grandin réussit à faire nommer en 1890 l'abbé Jean-Baptiste Morin agent de colonisation6 , chargé de créer un mouvement d'immigration du Québec et de la Nouvelle-Angleterre vers l'Ouest canadien.

Malheureusement, l'intelligentsia du Québec, Jules-Paul Tardivel à sa tête, reprit ses attaques contre la colonisation des Prairies. Ces prises de position n'étaient pas nouvelles: en 1876, malgré l'appui à la cause de la colonisation de la part des évêques du Québec, certains journaux avaient mis en doute la valeur des Prairies canadiennes7 ; la crise économique de 1882-1883, qui força de nombreux Canadiens français du Manitoba à retourner au Québec, et la défaite de Riel en 1885, avaient persuadé la population du Québec que l'Ouest était destiné à devenir anglais et qu'il valait mieux s'emparer, selon les plans du curé Labelle, du nord du Québec et de l'Ontario ou, à la rigueur, pour ceux qui devaient à tout prix quitter le Québec, ne pas aller plus loin qu'au Manitoba8 ; enfin, avec la montée du nationalisme provincial à la Honoré Mercier, l'abolition des écoles séparées au Manitoba en 1890 et le retrait du statut officiel du français dans le Nord-Ouest en 1892, la pensée centrale des écrits de Tardivel s'était orientée vers le discours suivant, repris souvent, par la suite, par les nationalistes québécois:

Il est donc manifeste que nous n'avons qu'un moyen de maintenir notre position de peuple distinct au milieu des éléments étrangers et souvent hostiles qui nous entourent, c'est de fortifier la province de Québec; c'est de la remplir, le plus tôt possible, d'une population homogène, catholique et française.

Une province de Québec forte, peuplée autant qu'elle peut l'être par les nôtres, c'est l'équilibre maintenu entre les divers éléments qui composent et qui composeront la population du Dominion.

Une province de Québec fortement française, c'est l'appui dont les groupes français dispersés dans l'Amérique du Nord ont absolument besoin pour pouvoir lutter, avec quelques chances de succès, contre l'assimilation anglo-saxonne9 .

En somme, Tardivel s'opposait à l'émigration des colons canadiens-français vers le Nord-Ouest et prêchait le repli sur soi et le renforcement du Québec par méfiance des Anglo-Saxons. Il adoptait cette attitude à cause des preuves offertes par l'histoire de l'incapacité et du non-vouloir du gouvernement fédéral d'assurer des garanties constitutionnelles linguistiques et scolaires aux minorités. Aussi, il craignait, qu'affaiblie par l'exode de ses colons, la représentation parlementaire de 65 députés du Québec puisse être réduite car, disait-il, « les garanties constitutionnelles sont de nos jours, une bien faible protection pour les minorités »10 .

Ajoutés aux obstacles purement matériels, tels que la distance, les coûts de transport et le manque de développement de l'Ouest, les arguments des détracteurs de l'émigration vers l'Ouest nuisaient considérablement aux efforts des missionnaires-colonisateurs. C'est pourquoi, Mgr Legal décida en 1899 d'intervenir ouvertement en faveur de la colonisation pour protéger la place du français et de la religion. Il signa la lettre collective des évêques de l'Ouest demandant aux évêques du Québec d'user de leur influence «dans le but de favoriser le développement de la colonisation du Nord-Ouest»11 . Le flot continuel d'étrangers dans le pays rendait l'appel pressant:

Plus tard serait trop tard. C'est maintenant le moment de faire un effort décisif. C'est le moment d'assurer, à l'élément de Foi catholique et de langue française, sa part de prépondérance dans ce pays12 .

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