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Émile Petitot, missionnaire dans le Grand-Nord canadien: évangélisateur ou apôtre de la science?

Gilles Cadrin
Faculté Saint-Jean
Université de l'Alberta

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Le père Émile Petitot est né à Grancey-le-Château (Côte-d'Or), dans une famille de neuf enfants. Attiré par le sacerdoce, il fit des études au Petit séminaire du Sacré-Cœur à Marseille. C'est là que s'affirma son désir de partir en mission. À la préparation spirituelle, il prit alors le soin d'ajouter la préparation physique nécessaire pour faire face aux exigences de l'apostolat dans le Grand-Nord. Dans un cahier manuscrit intitulé «Souvenir de jeunesse: excursions faites dans le Midi de la France»6 , il indique l'importance qu'il attachait à ses longues excursions, à ses voyages en mer, à ses escalades périlleuses en montagne et à ses aventures d'exploration des grottes de la région. Petitot parle de ses marches de 10 ou 11 heures, et souvent plusieurs jours d'affilée. Il révèle qu'elles avaient un but bien précis: « Je voulais tellement m'imprégner de l'air, de la poésie et de la beauté de la patrie de mon enfance et de ma jeunesse que toute ma vie s'en trouvât embaumée. » Il y a nul doute que le souvenir de la Provence serait d'un grand réconfort dans les plaines désolées du Grand-Nord canadien, mais le futur missionnaire trouve des raisons beaucoup plus pratiques à ses longues randonnées. Écoutons-le: « ... à 2 ou 3,000 lieues de la France, j'aurais des centaines de lieues à parcourir avec mes seules jambes [...] je m'entraînais comme on entraîne un coursier. C’est dans le but d'essayer mes forces locomobiles, d'apprécier la vigueur de mes jarrets, la puissance de mes poumons, la résistance de ma constitution, que j'entreprenais à pied […]ces courses par monts et par vaux... » Comme son enthousiasme et peut-être même ses extravagances lui avaient mérité l'épithète d'Abbé fou, il s'en défend ainsi: « Fou je ne l'étais pas plus qu'eux, mais je voulais me connaître et me peser avant de risquer ma vie, de compromettre mon avenir par une démarche qui surprendrait sans doute mes détracteurs, mais qui justifierait ma conduite présente. L'épreuve a été longue sans doute, puisqu'elle durait depuis quatre ans, et qu'elle devait continuer pendant un an encore, dans les Alpes du Dauphiné; mais d'ores et déjà je savais que je pourrais faire un apôtre intrépide et vaillant, que les longues marches, la fatigue, les intempéries ne pourraient m'arrêter; et que si ma vertu, mon zèle des âmes, ma foi, ma confiance en Dieu et mon amour pour sa gloire étaient en proportion de la force de mes reins, de la vigueur de mes jambes et de la puissance de mes poumons, je pourrais dire un jour comme le marin provençal: "à Diou va! Nouestra Damo t'adjudara! ". » Ce journal laisse déjà entrevoir la valeur du futur missionnaire: un être méthodique, discipliné, ayant le goût de la découverte et doté d'une grande endurance physique. Toutes ces qualités lui seraient d'un secours inestimable lorsque ses longues courses en quête d'âmes à sauver l'amèneraient à parcourir des milliers de kilomètres à pied, souvent par des froids extrêmes.

Après ses études au Petit séminaire du Sacré-Cœur à Marseille, il entra dans la congrégation des Oblats de Marie-Immaculée en 1860, et fut ordonné prêtre le 15 mars 1862. Deux semaines plus tard, il partit pour le Canada à la suite de Mgr Taché, évêque de Saint-Boniface, qui était venu en France recruter des prêtres pour répondre aux besoins croissants de son immense diocèse. Arrivé à Montréal, il prit quelques jours pour s’initier à l'Amérique et il se mit en route vers Saint-Boniface. Ce long voyage lui offrit ses premiers contacts avec les Indiens. Sa réaction ne fut pas des plus positives: l'Indien lui faisait peur. Il constata aussi à quel point le Canada et, surtout les États-Unis, avaient étendu rapidement la civilisation sur leurs territoires. S'il en était fasciné, le savant s'insurgerait plus tard contre ce progrès qui était en train de détruire les Indiens et leur milieu, champ dans lequel le missionnaire et le chercheur devaient aller cueillir les réponses à la question de l'origine des peuples d'Amérique7 . À cause du besoin pressant de missionnaires, il passa très peu de temps à Saint-Boniface pour se préparer à son nouveau rôle. Il partit le 8 juin vers le Grand-Nord, croyant, selon son vœu le plus cher, qu'il pourrait aller œuvrer directement auprès des Esquimaux du Mackenzie, population qui n'avait pas encore accueilli de missionnaires, même si le père Henri Grollier s'était déjà aventuré sur leur territoire. Dans son livre, Chez les Grands Esquimaux, il souligne que longtemps ce peuple avait exercé un grand attrait sur lui: « j'avais lu toutes les relations des explorateurs arctiques qui m'avaient précédé, des savants, des hommes de génie dont les découvertes ont enrichi la géographie et l'ethnologie. Depuis mon enfance j'étais familiarisé avec le peuple esquimau. »8Cependant, au lieu de l'envoyer à Good Hope, Mgr Vital Grandin décida de l'initier au Grand-Nord et à ses populations en le retenant plus au sud: d'abord à la mission de la Providence, du mois d'août 1862 à mars 1863, et ensuite, jusqu'en août 1864, à la mission Saint-Joseph, sur l'île del'Orignal, dans le Grand lac des Esclaves.

Ces deux premières obédiences s'avérèrent très profitables pour le père Petitot. D'abord, en moins de cinq mois, il avait réussi à maîtriser si bien la langue qu'il pouvait prêcher en montagnais (chipewyan). De plus, ces premiers séjours dans le Nord l'initièrent non seulement à sa vocation de missionnaire, mais lui permirent de cultiver ses talents de linguiste, d'ethnologue, de géographe et de peintre. En effet, dans la solitude de la vie de missionnaire, il consacrait ses temps libres à l'étude des langues dénées, à l'exploration et à la visite des diverses tribus de la région du Grand lac des Esclaves. Partout où il voyageait, il faisait des relevés géographiques et géologiques. Voici un compte rendu au supérieur des Oblats, daté du 30 septembre 1864: « Aujourd'hui, j'aurai plus que des aventures à vous narrer, car le bon Dieu a bien voulu que votre indigne fils produisît quelques fruits parmi la nation des Indiens Flancs-de-Chien, que j'ai eu le bonheur de visiter en avril, mai et juin dernier. Les circonstances m'ont déterminé à me rendre sur leur territoire et à passer une quarantaine de jours sous leurs tentes. Le pays que j'ai parcouru avec ces sauvages est totalement inconnu et n'est pas même marqué sur les plus récentes cartes d'Arrowsmith; c'est ce qui m'a porté à donner des noms aux rivières et aux lacs que j'ai traversés et à en dresser une carte que je vous envoie, pour en faire tel usage que vous voudrez. » Son compte rendu comprend aussi la description et l'endroit précis des lacs et des rivières: « La rivière Fsan-t’-ié- dessé reçoit, vers le 115°30' longitude ouest (de Greenwich), la rivière Kia-go-t' -ié-dessé, que j'ai appelée du nom de S. Gr. Mgr Grandin; vers son confluent, elle est à peu près de la largeur de l'Isère et est parsemée de chutes et de rapides. Elle traverse la solitude la plus affreuse que j'aie encore rêvée; […]. Ce panorama, digne des rivages du Styx, est coupé au nord-ouest par la nappe immobile et glacée du lac T'-émida-t'-ié (lac aux Gibecières) que forme la rivière Grandin. J'ai donné à ce dernier lac le nom de S. Gr. Mgr Faraud. Sa place sur la carte serait sous le parallèle du 63°2' de latitude nord et le 115°45' de longitude ouest.»9

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