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Émile Petitot, missionnaire dans le Grand-Nord canadien: évangélisateur ou apôtre de la science?

Gilles Cadrin
Faculté Saint-Jean
Université de l'Alberta

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La poursuite de ses visites auprès de différentes tribus indiennes du Nord et ses brèves rencontres avec les Esquimaux lui permirent de faire de «curieuses découvertes» qu'il présenta en 1865 dans son «Étude sur la nation montagnaise »18 . Dans ce travail, il réitère sa croyance à l'existence du rapport entre la culture montagnaise et celle des Juifs. Il note des similitudes au niveau des traditions, des croyances et des prescriptions. Parlant de la religion montagnaise, il constate qu'elle «consiste en un fétichisme grossier» qu'il caractérise de fétichisme juif «parce qu'il se trouve mêlé à des traditions et à des prescriptions qui ont évidemment une origine judaïque ». À titre d'exemple, Petitot transcrit le récit de la création du premier homme: «Au commencement, il n’y avait point d'homme. Alors, tout à coup, voilà l'homme, dit-on. Celui qui a fait l'homme, nous ne le connaissons point. Alors, pendant l'hiver; il fit quelque chose, des raquettes sans doute; il ne savait comment s'y prendre; cependant il les fabriqua. Or, pendant qu'il enlaçait le treillis, assis dans sa tente, une perdrix était perchée au sommet. Tout à coup l'homme étant assis, une femme est assise à son côté. Ce n'était d'abord qu'une perdrix; maintenant, c'est une femme. Alors ils se multiplièrent, et de là sont venus les hommes, et ces hommes, c'est nous-mêmes. Nous sommes assurément des hommes, nous, habitants de cette terre. […]  Alors l'homme demeurait, comme aujourd'hui, sur terre; il y vieillissait et ne mourait point; mais enfin, à force de marcher, ses pieds venant à s'user, ou bien à force de manger, son gosier s'étant percé, l'homme mourut. Depuis ce temps, on meurt de diverses causes. » En somme, Petitot relève de nombreux parallèles entre la tradition des Montagnais et celle des Juifs, mais il n'ose pas encore affirmer catégoriquement qu'un lien ferme existe entre ces deux groupes. Il y a un obstacle majeur: c'est que l'interprétation de la création du monde offerte dans les légendes des Montagnais ne fait aucune allusion à un Dieu créateur.

Pourtant, en dépit de ses doutes, le missionnaire se croit en mesure de s'attaquer aux principales hypothèses émises avant lui ou par ses contemporains. Il s'oppose à Génébrard et à Thevet qui font des peuples américains les restes des tribus amenées en Assyrie par Salmanazar, en 721 avant Jésus-Christ. Il s'oppose aussi aux opinions émises par Mayhew, Elliot, William, Gomar, de Léry et Lescarbot qui en font les descendants des Cananéens chassés par Josué et les Hébreux qui, délivrés de l'Égypte, s'emparaient de la Judée, la Terre Promise, vers le milieu du 13è siècle avant Jésus-Christ. Il n'est pas non plus d'accord avec Thomas Jefferson, le père Charlevoix et bien d'autres qui ont vu dans les Peaux-Rouges des Tartares ou des Scythes. Enfin, il n'accepte pas qu'on lie les peuples d'Amérique aux Éthiopiens, aux Phéniciens, aux Scandinaves, aux Chinois ou encore aux Gaulois. S'appuyant alors sur les croyances et les pratiques observées chez les Montagnais, il avance l'hypothèse suivante: «Ces traditions et les prescriptions judaïques encore en honneur dans la nation montagnaise, nous inclinent à la croire de race juive et occupant le pays depuis une époque très éloignée, mais postérieure à la captivité de Babylone. » Pourquoi Petitot a-t-il choisi cette période précise de l'histoire biblique pour y rattacher l'origine de la famille montagnaise? La raison n'est pas claire et il semble n'avoir expliqué nulle part le fondement de cette hypothèse. Il faut donc conclure que Petitot a choisi la période postérieure à la captivité de Babylone parce qu'elle coïncide avec le retour des Juifs en Judée, après leur libération par le roi Cyrus, en 538. Pendant cette période, un grand nombre d'entre eux se sont répandus à travers le monde d'alors. Plus encore, ces exilés étaient en pleine possession de la tradition judaïque. En effet, les familles juives amenées captives à Babylone faisaient partie de l'élite. Selon les prophéties de Jérémie, l'exil était une punition qui prendrait fin un jour. Pour éviter l'assimilation et se préparer à la libération, les Juifs avaient donc continué d'observer le sabbat et de pratiquer la circoncision pour se distinguer de leurs voisins. La captivité à Babylone avait été aussi une période d'activité littéraire intense où les vieilles traditions furent repensées, réécrites et préservées. La légende voulait même que le prêtre Ezra (Esdras) eût entièrement restauré les lois de Moïse. C'était la connaissance de ces lois dont Petitot avait retrouvé l'évidence chez les Montagnais, un peuple moral qui embrassait la religion catholique sans aucune difficulté, qui l'aurait amené à fixer les migrations après 538 avant Jésus-Christ. Évidemment, l'hypothèse que présentait Petitot a été détruite par les découvertes de la science moderne. Mais, en fin de compte, la science lui a donné raison sur le point principal qu'il soutenait: l'unité de la race humaine.

Pour apprécier la valeur de la contribution de Petitot, il faut considérer les conditions de l'époque. Ce qui apparaît alors tout à fait intéressant et même intrigant, c'est la somme de connaissances qu'il exhibe au sujet des théories de ses devanciers. Étaient-ce des connaissances acquises dans le cadre de ses études régulières ou simplement par intérêt personnel? La dernière possibilité semble la plus plausible. En effet, même sans posséder de données précises sur le programme d'études du noviciat Notre-Dame de l'Osier, où Petitot passa deux ans avant d'être ordonné, il est prudent de croire que ce programme était semblable à celui du Grand Séminaire de Marseille où les études profanes étaient bannies selon un règlement du Chapitre général de 1850, règlement qui s'appliquait à tous les séminaires des Oblats19 . Toutefois, en 1853, Mgr de Mazenod avait joint à la Règle des Oblats l'obligation aux membres de la congrégation désignés pour les missions étrangères de se préparer à leur tâche «par l'application à l'étude des sciences les plus appropriées à leur vocation. »20

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