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Émile Petitot, missionnaire dans le Grand-Nord canadien: évangélisateur ou apôtre de la science?

Gilles Cadrin
Faculté Saint-Jean
Université de l'Alberta

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Sans doute, pour se conformer à cette directive et par ouverture d'esprit, Petitot s'était-il initié à l'ethnologie avant de quitter la France. Il n'était pas sans savoir qu'une fois dans le Grand-Nord, il ne trouverait plus à sa portée de travaux scientifiques. En effet, l'inventaire des biens des diverses missions (dressé annuellement) révèle que les missionnaires jouissaient à peine du strict nécessaire: ils ne traînaient donc pas avec eux une bibliothèque bien fournie. Et si le père Petitot ou le père Végréville, qui s'intéressait à la même question, parlent de livres ou de revues, c'est pour se plaindre qu'après deux ou trois ans leur commande ne leur est toujours pas parvenue. Pourtant, dès 1865, avec les faibles moyens à sa portée, si ce n'est l'observation sur le terrain, Petitot devint tellement convaincu du bien-fondé de sa théorie (le lien entre la race juive et les peuples d'Amérique) qu'il commença à s'attaquer aussi à ses contemporains américains. Parmi les Américains auxquels il s'en prend, il faut noter Schoolcraft, Horn, et tout particulièrement Pierre-Etienne Du Ponceau et Albert Gallatin, ces deux derniers étant des hommes d'État d'origine française, amateurs de philologie et d'ethnologie. Petitot leur reproche de voir «dans les Américains une race distincte, du cap Horn aux confins des États-Unis, et qui a peuplé les deux Amériques depuis la dispersion de Babel ».21 Or, en étudiant les textes de Du Ponceau et de Gallatin, il se révèle que ni l'un ni l'autre ne suggèrent que les peoples d'Amérique ne se rattachent pas à la souche commune de l'humanité. Du Ponceau parle plutôt de l'organisation des langues des Indiens qui est tout à fait différente de celle des autres langues du monde. Le trait caractéristique de toutes les langues d'Amérique, soutient-il, c'est qu'elles sont polysynthétiques, c'est-à-dire que les éléments d'une phrase sont agglutinés de sorte qu'un mot résume plusieurs idées. En réalité, Du Ponceau ne cherchait pas à nier le lien commun de tous les humains, mais bien à décrire le système des langues américaines et à montrer que leur organisation diffère des langues de l'Ancien Monde22 Ainsi, comme il avait déclaré en 1819 que son étude des langues jusqu'à ce point n'avait pas eu pour but de découvrir l'origine des Indiens, mais bien de faire avancer la connaissance de l'Homme, il refusait de croire que par l'étude de l'étymologie on puisse remonter aux langues souches de l'humanité23 . Or, Petitot croyait en cette possibilité et se faisait un devoir de la démontrer.

En ce qui a trait à Gallatin, la critique de Petitot relève en partie de la même erreur d'interprétation. En effet, à la demande du baron Alexandre de Humboldt, Gallatin avait fourni en 1823 une classification des familles indiennes en fonction de leurs langues. Par la suite, il avait continué à recueillir des données linguistiques par tous les moyens, entre autres, en faisant circuler par le ministère de la Guerre une liste de mots et de phrases en vue d'en obtenir l'équivalent dans les diverses langues des tribus d'Amérique. À la lumière de ces nouvelles données, Gallatin notait en 1836 qu'il était d'accord avec les théories de Du Ponceau: ses études démontraient que toutes les langues autochtones d'Amérique, de l'océan Arctique jusqu'au cap Horn, possèdent une caractéristique commune qui les distingue de celles des autres continents. Gallatin appelle ce trait caractéristique le phénomène d'agglutination24 . Il est donc évident qu'il ne cherchait nullement à nier l'origine commune de la race humaine.

Or, il offre une hypothèse sur l'arrivée des Indiens en Amérique que Petitot ne pouvait pas accepter. Cherchant à expliquer le nombre des Indiens en Amérique et la diversité de leurs langues en fonction du rythme de reproduction et de migration vers les extrémités de l’Asie, et en fonction aussi de la chronologie biblique traditionnelle du 19è siècle, Gallatin soutient en somme que l'arrivée des humains en Amérique remonte à cinq  cents ans après la confusion des langues à Babel25 . Ceci implique donc que les ancêtres des Indiens ne sont pas entrés en contact avec la civilisation hébraïque, monothéiste, car il soutient de plus que les premiers habitants  sont arrivés à l'état sauvage, que certains groupes sont restés à l’état sauvage tandis que certains peuples du Mexique et du Pérou sont passés de la vie de chasseurs à celle d'agriculteurs et qu'ils ont ainsi accédé au rang de nations semi-civilisées26 . En somme, Gallatin s’inscrit dans le courant des penseurs américains qui voulaient montrer l’originalité de l'homme américain, en l'émancipant culturellement et spirituellement de l'Ancien Monde. Malheureusement, Petitot a vu dans l'œuvre des penseurs mentionnés l'influence des rationalistes et des matérialistes modernes qui remettaient en cause les données de la Bible.

Comme Petitot n'acceptait pas les conclusions des savants matérialistes, il s'en prenait à leurs méthodes de recherche. Là-dessus, il n'épargna ni les Américains ni les Européens. À son avis, ceux qu’il appelle les «savants du coin du feu» et des «chemins de fer» ou encore les «savants de cabinets» sont coupables de n'être pas allés cueillir les secrets que l'avance de la civilisation risquait d'ensevelir à tout jamais. En somme Petitot leur reproche de ne pas avoir étudié en profondeur les langues et les traditions des peuplades américaines qu'il perçoit comme la seule bibliothèque qui livrerait le secret de l'origine des Indiens. Donc, les critiques de Petitot doivent être comprises comme une invitation à ne plus faire de l'histoire une muse, mais plutôt à compulser l'histoire des Peaux-Rouges avec les traditions des peuples asiatiques ou avec la Bible27.

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