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Émile Petitot, missionnaire dans le Grand-Nord canadien: évangélisateur ou apôtre de la science?

Gilles Cadrin
Faculté Saint-Jean
Université de l'Alberta

Page 6

En dépit de la fermeté de ses critiques, le missionnaire hésita pendant longtemps à soutenir de façon catégorique la thèse de l'origine hébraïque des Peaux-Rouges. Mais, après douze années passées dans le Grand-Nord, Petitot avait acquis assez de certitude sur l'origine des Esquimaux et des Indiens pour s'opposer publiquement aux partisans de l'autochtonie des peuples d'Amérique. En 1875, l’occasion se présenta lorsque, de retour en France pour faire publier ses dictionnaires, il s’arrêta à Nancy au Congrès international des Américanistes. Avec le père Émile Grouard, il écouta les exposés et il se rendit vite compte que la plupart des savants cherchaient par leur intervention à démontrer l'autochtonie des peuples d’Amérique. Il demanda alors la parole et pria le bureau de ne pas conclure, promettant de revenir le lendemain avec des documents, si on lui en accordait la possibilité. Ce fut fait et, par ses arguments, il réussit à démontrer que les Indiens et les Esquimaux n'avaient pas poussé en Amérique comme des champignons, mais qu'ils étaient originaires de l'Asie28 . Petitot connaissait, ce jour-là, un moment de gloire. Le chercheur qui avait sillonné le Grand-Nord et qui avait pénétré le monde de l'Indien et de l'Esquimau remportait la victoire sur les « savants de cabinet ». Cette victoire, c'était celle du savant sur ceux qu'il considérait comme les poètes de la science, mais c'était surtout la victoire de l'Église sur les rationalistes et les positivistes. La presse française en fit état avec grand éclat car, dans l'ensemble, les arguments présentés par le missionnaire apparaissaient comme irréfutables. Aujourd'hui, même si plusieurs des théories de Petitot font sourire, il faut s'arrêter à sa thèse centrale, l'origine asiatique des peuples d'Amérique, et voir comment il l'a étayée par des arguments tirés de ses observations sur le terrain, observations qui sont analysées à la lumière de la Bible et des connaissances de son époque.

Petitot puise un de ses arguments dans le rapport entre les langues d'Amérique et celles de l'Asie. Ce rapprochement, il le découvrit peu après avoir complété son « Étude sur la nation montagnaise ». Il confia alors au supérieur général qu'il venait de faire une découverte singulière qui le confirmait dans la « douce illusion que ces peuples pourraient bien être de race juive. »29 Cette découverte, c'est le rôle des voyelles dans la création des divers dialectes à l'intérieur de la famille dénée. Comme il l'explique dans l'avant-propos de son Dictionnaire de la langue Dènè-Dindjié, « les variantes consistent dans la mutation des voyelles, tandis que les consonnes demeurent invariables comme dans les dialectes araméens ou sémitiques »30 . Ainsi, le mot «terre» en montagnais se dit « ni », en esclave, « », et en loucheux, « nan ». Ce phénomène de mutation n’est pas sans  évoquer le rapport qui existe entre l'hébreu et les langues des peuples voisins, telles que l'égyptien, le syriaque, le chaldéen, le samaritain et le phénicien, « de telle sorte », dit-il, « que chacun de ces peuples pouvait, en suppléant aux voyelles manquant, lire les saintes Écritures dans sa propre langue ».31 Non seulement cette particularité linguistique indique un rapport entre la formation des langues hébraïques et la formation des langues américaines, mais elle démontre, à l'encontre de la thèse de Du Ponceau, que les hommes ont traversé en Amérique possédant déjà le langage, puisque les Écritures disent que l'homme a été créé parlant et à l'image de Dieu. Petitot se trouve pourtant incapable de préciser à quelle famille de langue asiatique se rattache la langue dénée, mais il espère que ses preuves seront suffisantes « pour détruire l'erreur de l'autochtonie absolue des Américains »32. Ses autres arguments en faveur de l'unité de la race humaine, il les puise dans les témoignages des Dénés, dans leurs légendes et coutumes, et dans leurs traditions. Voyons d'abord les témoignages.

Un de ces témoignages, c'est celui des Indiens Couteaux-Jaunes à qui le missionnaire avait demandé ce qu'ils savaient de leur origine. Ils lui racontèrent qu'un géant, habitant l'Ouest, leur barrait la route vers les terres désertes. Ils le tuèrent et son cadavre tomba en travers des deux terres. Il servit de pont aux rennes qui traversaient périodiquement. Comme d'autres tribus offraient le même témoignage, Petitot conclut que le géant représentait le peuple et les rennes, «le flot des hordes qui se pressèrent et se succédèrent d'Asie en Amérique »33 . Si les Couteaux-Jaunes donnent peu de précisions sur leur lieu d'origine et leurs conditions de vie antérieure, les Peaux-de-Lièvre et les Loucheux les évoquent avec beaucoup de détails; ils disent qu'ils étaient dominés par un people féroce et immoral dont les hommes, le soir, se changeaient en chiens. Dans ce pays se trouvaient quantité d'animaux qu'on ne retrouve pas dans le nord de l'Amérique, tels le serpent et le singe. Un jour, disent-ils, il se fit un mouvement de la terre qui leur permit de fuir vers l'Orient jusqu'au bord de la mer qu'ils traversèrent pour se retrouver dans une terre déserte. Les premiers temps en cette terre nouvelle furent pénibles, mais de petits morceaux de viande tombaient du ciel tous les matins jusqu'à ce qu'ils trouvent sur place le moyen de subsister. Le parallèle avec le séjour des Israélites en Égypte, leur fuite dans le désert et la manne qui tomba du ciel pour les nourrir, ne pourrait pas être plus évident. Dans tous ces détails, Petitot retient surtout les caractéristiques des ennemis des Couteaux-Jaunes. Ceux-ci sont décrits comme se rasant la tête, portant perruque et se métamorphosant en chiens. Or, Petitot note que la tribu des Flancs-de-Chien, méprisée par les Dénés, tirerait son origine de l'union d'une femme avec un homme-chien. De plus, comme la croyance en une nation d'hommes-chiens est répandue de l'Égypte jusqu'en Chine, Petitot voit là des preuves certaines de l'origine asiatique des Dénés.

Petitot tire aussi des preuves des légendes et des coutumes qui ressemblent à celles des Asiatiques et à celles des Anciens. Il note d'abord chez les Dénés la croyance à la métempsycose et à la migration des âmes, parce qu'ils prétendent que les enfants qui naissent avec une ou deux dents sont des enfants ressuscités ou réincarnés. Les Dénés croient même que leurs morts peuvent renaître métamorphosés en caribou, en ours ou en élan. Sur ce, Petitot interroge son lecteur: «cette doctrine vieille comme le monde, partagée par les Celtes comme par les Égyptiens, et qui fut importée jusqu'aux extrémités de l'Asie par le philosophe Lao-Tsé, à son retour de la terre des Pharaons, comment est-elle parvenue en Amérique si ce n'est par l'Asie? »34 Que conclure aussi du grand respect que les Dénés ont pour le bœuf musqué et de la prétendue valeur médicinale de la bouse de vache? En plus des liens avec les Hindous, Petitot suggère des rapports avec les Chinois, les Malgaches, les Grecs et les Arabes: la façon dont les Dénés perçoivent le tonnerre se rattache à l'image de l'oiseau de Jupiter; la façon dont ils traitent les morts les lie aux Égyptiens; leur croyance en l'immortalité de l'âme les rapproche des Grecs et des Latins ; enfin, leur façon de voir le premier couple les identifie à la pensée arabe. En somme, toutes ces corrélations sont des preuves, selon Petitot, qui s'opposent à la thèse de l'autochtonie des peuples d'Amérique.

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