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Nation Et Religion : L'établissement Des Paroisses «Nationales» D'edmonton

Gilles Cadrin
Faculté Saint-Jean
University of Alberta

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Peut-être faudrait-il reformuler la question et se demander s'il y a des raisons pour lesquelles le clergé n'a pas accédé aux demandes des paroissiens francophones de Saint-Joachim. Une raison saute aux yeux: les Canadiens français sont trop pauvres pour bâtir leur propre église. Pour s'en convaincre, il faut suivre les efforts des prêtres de Saint-Joachim pour amasser les sommes nécessaires à la construction de la quatrième église en 1899. Certes, les paroissiens font leur part, mais c'est aussi grâce aux dons importants qui proviennent de France, grâce aux contributions des Oblats, des Sœurs de l'Assomption, et même de plusieurs citoyens protestants d'Edmonton, que la construction peut être entreprise13 Un autre facteur pourrait expliquer le retard des paroisses françaises: le manque de prêtres. En effet, l'arrivée continuelle d'immigrants place l'évêque devant les demandes pressantes des nouvelles paroisses qui se fondent à travers la province. Le prêtre doit donc, en général, desservir plus d'un groupe de fidèles. On pourrait donc évoquer la pénurie de prêtres comme la raison de force majeure pour expliquer la lenteur de l'évêque à accorder des paroisses françaises aux Canadiens français. Mais, sans aller jusqu'à la spéculation, on peut considérer d'autres interprétations.

Le fait qu'au tournant du siècle, le clergé albertain soit en grande majorité originaire de France nous aide à comprendre pourquoi il ne se laissait pas fléchir par les revendications nationalistes des Canadiens français. Il lui était facile de se cantonner derrière sa mission religieuse et, même s'il souhaitait et appuyait l'expansion du français, il tempérait son engagement à cette cause par un certain réalisme. La population devenant majoritairement anglophone, Mgr Grandin avait à cœur que son clergé soit capable de propager en anglais l'œuvre de l'Église, au niveau de la paroisse, de l'école ou de l'hôpital14 . Il était convaincu de cette obligation et, lorsqu'il s'était adressé à la Mère générale des Fidèles Compagnes de Jésus, de Sainte-Anne d'Auray en France, pour obtenir des religieuses enseignantes, il avait bien spécifié qu'elles devaient toutes être capables d'enseigner en anglais, la langue du pays15 . Pour la paroisse, l'école ou l'hôpital, Mgr Grandin ne pensait donc pas en termes d'entités nationales pour les francophones.

Si l'état de la population ne permettait pas le dédoublement des paroisses, la présence fortement majoritaire des religieux francophones offrait néanmoins une garantie contre l'assimilation. Ceux qui semblaient être les plus vulnérables étaient en réalité les anglophones et les autres groupes linguistiques: les anglophones car ils ne comptaient pas encore assez de catholiques dans leurs rangs pour former une paroisse à la fin du 19ème siècle; les Polonais et les Allemands parce que, laissés à eux-mêmes, ils risquaient de s'angliciser et de passer au protestantisme; les Galiciens, enfin, parce qu'étant de rite grec-ruthène, se méfiaient du prêtre latin. C'est pourquoi Mgr Émile Legal, successeur de Mgr Grandin, avait demandé au père Alphonse Jan d'apprendre le polonais pour être en mesure de desservir les Polonais, tandis qu'il réussissait à faire venir en Alberta le père Albert Kulawy, un prêtre galicien, pour s'occuper des populations de rite grec-ruthène. Mgr Legal était donc sensible à l'importance de la langue comme gardienne de la foi. Par contre, en ce qui concernait les Canadiens français, bien encadrés par un clergé francophone, il semble que Mgr Legal n'ait pas senti au début de son épiscopat que la nécessité de paroisses nationales se posait avec autant d'urgence que pour les autres groupes ethniques.

Il y a enfin une autre raison pour laquelle le clergé n'a pas poussé la création de paroisses françaises au tournant du siècle: la force de la famille et du sentiment d'appartenance au groupe. Comme la plupart des familles venaient tout juste d'arriver du Québec, de la Nouvelle-Angleterre ou d'Europe, on avait l'impression qu'elles étaient assez fortes pour résister à l'assimilation et perpétuer l'importance de la francophonie à Edmonton.

Il est facile ainsi de suggérer que le rythme de vie de l'époque favorisait une vie familiale et culturelle très resserrée, que les barrières entre les groupes linguistiques et religieux étaient très hermétiques ou que les media n'avaient pas l'effet assimilateur que nous leur attribuons aujourd'hui. Pourtant, l'analyse des registres de mariages de deux paroisses, à l'époque où elles étaient multilingues, démontre que les barrières linguistiques, culturelles et même religieuses dans cette société naissante n'offraient pas la résistance et la protection qu'on leur reconnaissait dans les sociétés bien établies. C'est ainsi que Saint-Joachim célèbre, entre 1893 et 1905, 37 mariages entre francophones et 41 mariages de francophones à des conjoints d'une autre langue. Dans la même période, on compte 79 autres mariages16 . Dans la paroisse de l'Immaculée- Conception, de 1907 à 1913, on relève 21 mariages entre francophones, 23 mariages entre francophones et des conjoints d'une autre langue, et 87 autres mariages17 .

Il est donc évident d'après ces chiffres que le phénomène de l'exogamie touche fortement l'ensemble de la société francophone d'Edmonton et non pas surtout les membres de l'élite comme le suggère E.J. Hart18 . La société canadienne-française n'est pas une société close, à l'épreuve du milieu ambiant. Les mariages entre personnes de nationalités différentes sont nombreux et ils se contractent même avec des personnes de religion différente. A l'Immaculée-Conception, pour les années mentionnées, sur 23 mariages entre francophones et anglophones, 6 de ces mariages sont des mariages mixtes; dans les mariages entre anglophones, les pourcentages sont encore plus élevés. C'est pourquoi, dans une lettre à Mgr Legal en 1909, le père Lemarchand, alors curé de l'Immaculée-Conception, exprimait son désespoir devant cet état de choses: «tous les Allemands, écrit-il, se marient avec des Luthériens, et les filles écossaises et irlandaises fréquentent des protestants; les Canadiennes un peu moins»19 . Il demandait alors à Mgr Legal de lui permettre d'organiser des danses pour retenir les jeunes dans sa paroisse et ainsi réduire le nombre de mariages mixtes.

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